« Not here/not ever » de Sang Jijia pour CARTE BLANCHE

par Marie Juliette Verga
Vu au Théâtre national de Chaillot.
Avec Not here/not ever, le chorégraphe tibétain Sang Jijia précipite les danseurs de la compagnie contemporaine nationale de Norvège dans un maelström d’émotions complémentaires. Une traversée virtuose qui fait de la coexistence de différents états d’âme et de corps un manifeste.
En 1989, la Norvège choisit de se doter d’une compagnie contemporaine nationale, Carte Blanche. Sans simplification outrancière, on peut résumer leur engagement à une invitation ouverte à des chorégraphes qui tentent la danse comme expression d’une critique de la société humaine. Hooman Sharifi, magnifique auteur de Every order eventually looses its terror [1], invite Sang Jijia et le monde s’immerge dans une danse « nordique », faite d’écriture serrée et de danseurs d’exception.
Esquisse architecturale, le décor est sobre. Quelques écrans blancs dessinent la profondeur de champ d’un bas-relief. Des projections vidéos dédoublent la danse vue au plateau. Rien de moins qu’une animation-gadget : geler le mouvement, déformer les corps, accélérer ou ralentir jusqu’à la chronophotographie ; cela dit la danse comme mouvement perpétuel qui agite chacun. D’une émotion à l’autre, d’un partenaire à l’autre, d’une organisation collective à une autre, sans relâche. Solos, duos, pas de deux à trois interprètes, lignes de fond ou de front ; l’écriture se déploie en dimension multiple. Rires fous, cris enregistrés et chuchotements se mêlent à la bande-son de Dickson Dee, capable d’enchâsser vrombissements industriels et envolées mélodiques.
Dans Not here/not ever, une Caroline Eckly fascinante mène la danse. Une traversée instable, une errance systématisée qui oscille de la tendresse à l’étrangeté, de la violence au jeu, du rire aux larmes. Sang Jijia et Carte Blanche portent haut l’exigence corporelle et politique : une réussite.
Vous pourrez voir un court extrait de la pièce ici.
[1]FMD 2014, cf Ballroom n°3.