Zugunruhe, état d’agitation avant la migration

par Nathalie Yokel
Sylvain Prunenec vient de créer un duo d’une beauté intrigante, qui plonge le spectateur dans un imaginaire lointain mais dit beaucoup de l’humain.
Avec leurs shorts noirs et leurs hauts blancs, progressant à petits pas glissés sur un sol givré de confettis blancs argentés, ces deux pauvres hères ont davantage l’air de pingouins que d’êtres humains. Leur parcours sur le plateau, fait d’une traversée spiralée menée côté à côte dans une écoute mutuelle, dessine sur la neige un tracé précis, assurément mu par une logique interne, comme le sont les trajectoires des oiseaux. Le seul déplacement de Tatiana Julien et Sylvain Prunenec, doublé d’une posture ramassée et d’un environnement visuel fort, suffit à ouvrir l’imaginaire du spectateur. Rajoutons à cela une bande son parfois cristalline portant les souffles d’un vent glacial, et l’on se croit presque sur la banquise. Pour autant, le propre du spectacle n’est pas d’offrir une danse animalière. Les références du chorégraphe, qui puise dans les états d’anxiété vécus par les oiseaux migrateurs lors de leurs grandes traversées, sont bel et bien là, mais tout son art réside dans un entre-deux qui ne pose ces deux interprètes ni tout à fait comme des oiseaux, ni tout à fait comme des humains. D’un mouvement de bras, on lit la tentative d’envol, d’une fente des jambes on devine l’instabilité du glissement.

Zugunruhe de Sylvain Prunenec, photo Marc Domage
Parfois les deux corps se séparent pour mieux faire fructifier leurs multiples essais d’aller ailleurs et d’échapper au cheminement étroit qui leur était réservé. Jusqu’à la dernière partie du spectacle où la spirale et le tournoiement prennent le dessus, où le corps s’envole vers des possibles promis par un état de conscience modifié. Tatiana Julien, magnifique interprète dont on connaît l’expressivité, n’en fait justement pas trop et cultive cet entre-deux qui nous empêche de trop qualifier la nature du corps qui s’expose. Sylvain Prunenec semble contenir un monstre halluciné qui subit ses propres désirs et ses rêves, avec mesure. Mais tous les deux nous disent les espoirs et les incertitudes des cheminements des êtres vivants, qui sont autant d’espoirs, de luttes, de progressions avortées et d’immobilités déçues, mais aussi de mise en action où tout peut advenir.
Nathalie Yokel
Spectacle vu à l’Atelier de Paris-Carolyn Carlson, dans le cadre du Festival Faits d’Hiver.